Le podcast est né comme un espace d’écoute libre. Vingt ans plus tard, Spotify et YouTube cherchent à en redéfinir les contours, jusqu’à déplacer le sens même du mot.
Aux origines, un média ouvert
A sa création le podcast repose sur une technologie simple : le flux RSS. Une suite de lignes de code qui permettait à chacun de publier et d’être écouté, sans intermédiaire ni hiérarchie imposée. Dans ce cadre, une grande radio nationale pouvait mettre en ligne ses programmes comme des amateurs passionnés pouvaient publier les leurs. Tout le monde partageait le même terrain technique. Cette ouverture a fait naître un foisonnement d’écritures sonores : documentaires, conversations, formats hybrides. Le podcast ressemble à un espace d’écoute, riche et fragile, pas encore à une industrie.
Apple a été la première à donner une visibilité massive à ce format, en intégrant les podcasts à iTunes au milieu des années 2000. Elle aurait pu en faire un produit marchand, vendant les épisodes à l’unité comme elle le faisait déjà pour la musique sur Itunes. Elle n’a franchi ce pas qu’en 2021, avec une offre premium permettant aux créateurs de proposer du contenu exclusif, en avant-première ou sans publicité, avec au passage une commission conséquente (30%), à l’image de ce qu’Apple impose déjà aux créateurs d’apps sur ses stores.
Quand les plateformes s’invitent
Il faudra attendre près de dix ans après iTunes pour que Spotify et Deezer se saisissent à leur tour du podcast, autour de 2014-2015. Ce basculement a marqué une étape : le format est sorti du cercle des initiés, souvent utilisateurs de Mac, pour rejoindre des millions d’auditeurs via Android et les applications de streaming musical. C’est là que la bataille entre plateformes a réellement commencé. Et avec elle, la logique de conquête : parts de marché, exclusivités, intégrations verticales.
Apple, pourtant, est restée discrète. Quelques acquisitions ponctuelles (PopUp Archive en 2018, Scout FM en 2020) ont esquissé une stratégie possible autour de la recommandation et de la découvrabilité, mais sans véritable suite. Apple a continué à jouer le rôle d’agrégateur sobre, fidèle à une approche sonore.
Spotify, lui, a choisi la fuite en avant. Dès 2019, la plateforme multiplie les acquisitions : Gimlet et Anchor, Parcast quelques mois plus tard, Megaphone en 2020, puis Locker Room et Podz en 2021. En quelques années, elle cumule les rôles : producteur, distributeur, hébergeur. Mais ce virage s’est vite révélé fragile. Produire coûte cher, les marges sont faibles, et les promesses de rentabilité ne se sont pas concrétisées. Depuis 2023, Spotify a réduit ses équipes podcast, avec plusieurs vagues de licenciements.
À cela s’ajoute l’enfermement de ses productions originales dans son propre écosystème : en ne diffusant ses podcasts maison que sur sa plateforme, Spotify limite leur portée et leur monétisation. Côté auditeurs, la confusion est tout aussi forte : un abonné premium paie pour un service sans publicité, mais continue d’en entendre dans les podcasts tiers que Spotify agrège sans pouvoir les modifier.
En accumulant ces rôles, Spotify a brouillé son modèle. L’ambition affichée d’être « le boss du podcast » reste un slogan. Derrière, la stratégie ressemble moins à un projet pensé pour l’écosystème sonore qu’à une mécanique destinée avant tout à capter de l’audience.
Quand Spotify et YouTube se rejoignent
Le vrai pivot du podcast ces dernières années, ce n’est pas seulement l’entrée de Spotify, mais sa rencontre avec YouTube. Le premier voulait s’imposer dans l’audio, le second domine déjà la vidéo et la musique. Entre eux, la concurrence est frontale.
Mais cette rivalité dissimule une convergence : celle d’un modèle qui récompense la visibilité, pas l’écoute.
Il faut dire que le terrain était préparé depuis longtemps. Avant même qu’on parle de “podcast vidéo”, YouTube accueillait déjà des objets sonores filmés : conférences TED, entretiens au long cours, radios filmées en studio. Ces formats conversationnels, sans montage ni écriture, trouvaient naturellement leur place sur la plateforme. On pouvait “écouter en regardant”, ou “regarder en écoutant”.
Spotify s’est engouffré dans cette brèche. Aujourd’hui, la plateforme met en avant les podcasts vidéo, avec même une catégorie dédiée. Ces formats cochent toutes les cases de son Audience Network : faciles à produire, faciles à découper, calibrés pour circuler sur les réseaux.
De son côté, YouTube a depuis longtemps rodé cette mécanique : hiérarchie algorithmique, monétisation publicitaire massive, prime aux conversations filmées. En s’alignant, Spotify cherche moins à inventer qu’à capter une audience déjà habituée à ce croisement entre audio et image.
L’histoire qu’on veut nous faire croire
Mais la vraie conséquence est ailleurs. En s’alignant sur YouTube, Spotify et consorts essaient d’imposer un récit : celui d’un podcast qui serait d’abord une vidéo. Talk-shows filmés, extraits calibrés pour les réseaux, formats pensés pour le scroll… tout pousse à faire croire que « podcast » rime désormais avec image.
Or, ce n’est pas un fait établi. C’est une stratégie de plateforme. Un storytelling qui arrange leurs modèles économiques, mais qui détourne le podcast de sa définition première : un média sonore, ouvert, pensé pour l’écoute.
En une douzaine d’années, le podcast est passé d’un flux RSS ouvert à un produit capté par des plateformes. Et aujourd’hui, Spotify et YouTube tentent de l’emmener ailleurs : vers la vidéo, vers le social, vers un imaginaire qui n’est pas le sien. Un imaginaire calibré pour le flux et la vitesse, quand le podcast, lui, s’invente dans la durée et l’écoute.
Revenir au son, c’est refuser l’uniformisation. C’est défendre les écritures, la narration, la pluralité des voix.
On veut nous faire croire que le podcast, c’est une vidéo. Libre à nous d’y croire… ou de continuer à écouter.