Entre la radio et le podcast, la différence tient moins à la forme qu’à l’adresse. L’une parle à tous, l’autre à chacun. Deux façons d’habiter le même espace d’écoute.
La radio, depuis toujours, s’adresse à un public large. On allume le poste, et à cet instant T, le flux s’adresse à tout le monde. C’est ce qui a forgé ses marqueurs : transmission, pédagogie, universalité. Bien sûr, chaque station a ses cibles et ses couleurs, mais il y a toujours cette idée d’un média qui inclut par principe.
Pourtant, l’expérience de l’auditeur ou de l’auditrice est rarement aussi globale. On pioche dans une grille, on sélectionne une émission, mais on reste dans un cadre thématique large. Pendant longtemps, les sujets de niche n’avaient tout simplement pas leur place. Et quand ils apparaissaient, ils étaient filtrés par un prisme généraliste. Un exemple : la thématique du numérique, réduit à quelques usages grand public, jamais abordé pour lui-même.
Ce constat vaut aussi pour d’autres domaines : des passionnés de pop culture ou de jeux vidéo, venus proposer leurs émissions aux antennes nationales, se sont souvent vu répondre que leurs projets étaient « trop geeks », « trop de niche », sous-entendu pas assez « radio ». Dix ans plus tard, quand Victoire Tuaillon propose Les Couilles sur la table à France Culture, la réponse fut la même : trop spécifique. Comme si la radio, en cherchant à parler à tout le monde, avait parfois manqué ces thématiques en avance sur leur temps, ou portées par des voix différentes.
C’est là aussi une limite de la radio nationale : enfermée dans une grille de 24 heures qui se renouvelle rarement, attachée à une certaine idée de la « bonne voix » et de l’esthétique radiophonique, elle peine à inclure pleinement des expressions diverses, qu’elles soient de pensée, de représentation sociale ou simplement de ton. Les radios associatives, elles, ont historiquement laissé une place à cette diversité, mais se heurtent souvent à un plafond de verre (diffusion locale) pour accéder à une audience élargie.
Ce vide a laissé la porte ouverte au podcast. Celui-ci a permis l’émergence d’approches exclusives, centrées sur une communauté, une niche. Mais là encore, paradoxe : en donnant voix à des thèmes ignorés, le podcast a aussi une fonction inclusive. Il intègre dans l’espace sonore ce que la radio excluait par omission.
Ce qu’on fait de la parole
C’est là que les chemins peuvent se séparer. La radio nationale fabrique ses contenus pour une destination et une audience définie : une grille de programmes, une ligne éditoriale, une identité d’antenne. Elle s’adresse d’abord à un public large, souvent par une approche pédagogique et descendante.
Le podcast, lui, permet d’autres postures. Certains choisissent la connivence avec une communauté déjà acquise, d’autres accompagnent dans la découverte, de manière plus horizontale et intime. Mais dans tous les cas, il y a une stratégie derrière : on ne produit pas seulement un contenu, on décide de l’espace sonore qu’on veut créer.
À la radio, c’est l’antenne qui impose son cadre. Dans le podcast, c’est parfois l’auteur ou la créatrice qui part de son envie personnelle, espérant trouver son public au fil du chemin. Mais on peut aussi inverser la logique : partir d’un public cible, le définir, puis construire le projet en fonction de lui. C’est un choix à faire. Choix que nous confrontons d’ailleurs à nos apprenants et apprenantes lors de nos formations au podcast : avec un outil simple mais puissant : la note d’intention éditoriale et stratégique en vue de la création et réalisation d’un podcast. Elle permet de clarifier à qui l’on parle, pourquoi, et comment.
Les signaux faibles
Le podcast a également montré qu’il pouvait jouer un rôle de révélateur. Lorsqu’en 2016 Lauren Bastide lance La Poudre, le hashtag #MeToo n’a pas encore explosé. Le podcast capte alors un signal faible : il met en lumière une parole féministe qui s’apprête à devenir centrale dans la société.
Ce rôle de « déclencheur » s’est accompagné d’autres formats, comme Un podcast à soi de Charlotte Bienaimé (2017), Les Couilles sur la table de Victoire Tuaillon (2017), YESSS (2018). Mais aussi avec des récits intimes comme Transfer (Slate) ou des podcasts explorant les questions de représentation, comme Le Tchip (Arte Radio), Kiffe ta race (Binge Audio). Autant de productions qui ne se sont pas contentées d’exister : elles ont occupé un espace laissé vacant, incarné de nouvelles voix et élargi le paysage sonore.
Le podcast s’impose ainsi comme un formidable révélateur de signaux émergents, sociétaux ou culturels. Parce qu’il est plus souple, moins coûteux, plus direct dans sa mise en œuvre, il permet de tester, d’expérimenter et de rendre audibles des paroles qu’aucune grille de radio n’aurait accueillies.
Au fond, ce va-et-vient entre le généraliste et le spécifique, entre la radio et le podcast, raconte moins une opposition qu’une évolution. La radio parle fort, pour qu’on l’entende ensemble. Le podcast parle plus bas, pour qu’on l’écoute seul. Et entre les deux, il n’y a pas de rupture, mais une résonance.
En voulant parler à tous, la radio a parfois oublié celles et ceux qu’elle n’entendait plus. Le podcast, lui, a ouvert la voie à ces paroles singulières, aux récits qui débordent des grilles. Mais l’enjeu n’est pas de choisir un camp. C’est de comprendre comment leurs forces se répondent.
Faire dialoguer la radio et le podcast, c’est prolonger une même histoire : celle d’un média qui change de forme pour continuer, toujours, à écouter le monde.
 
											
				 
											
				